mercredi 30 juillet 2014

Mehliana, jazz de l'espace

  •  Brad Mehldau & Mark Guiliana Mehliana : Taming the Dragon

On ne présente plus Brad Mehldau. L'Américain de 43 ans est un des tous meilleurs pianistes jazz, et pianiste tout court, de sa génération. Mark Guiliana, américain lui aussi, est un batteur de grand talent qu'on a pu entendre aux côtés d'Avishai Cohen par exemple, ça vous place un homme.

Ces 2 là se sont réunis sous le nom de Mehliana l'espace d'un album, Taming the Dragon, pour défricher des régions inexplorées, quelque part entre la musique électronique, bruitiste et le jazz, pour chevaucher le Dragon en fait. Bienvenu dans le monde parallèle du jazz électrique. La prise de risque est total et les amateurs jazz traditionnels de Mehldau risquent de ne pas y trouver leur compte. Tant pis pour les coincés de l'oreille, ils passeront à côté d'une expérience un peu dingo, psychédélique et retorse.

Mehldau aux synthés, Fender Rhodes et piano traditionnelle et Guiliana à la batterie et au bidouillage électro-acoustique s'en donnent à cœur joie et épuisent leurs univers respectifs de référence : Easy Rider et Dennis Hopper, Joe Walsh (membre des Eagles), le LA effrayant et glamour de Lynch, Gainsbourg, le rock, l'électro, le jazz, tout passe à la moulinette. Beaucoup de virtuosité et une recherche permanente de nouveaux rythmes, d'harmonies inédites dans cet album qui ne se laisse pas apprivoiser facilement. Taming the Dragon demande plusieurs écoutes, il est complexe, exigeant mais il récompense à chaque fois son auditeur qui trouvera toujours un nouvel élément, une nouvelle émotion ou qui peut décider de s'y perdre et de glisser dans un tourbillon cosmique sans fond.

L'album commence par le titre, Taming the Dragon. Les nappes de synthés nous plongent directement dans un road-trip Lynchien. La voix de Mehldau accompagne le voyage, rythmé par des pointes de vitesse, pour filer la métaphore routière, à base de synthétiseur Moog et de batterie déchaînés. Par la suite, chaque titre développe son univers propre, richement orné et d'une complexité musicale parfois difficilement digeste. On vous aura prévenu, le Dragon ne se laisse pas approcher si facilement.

Entre son trio acoustique, sa carrière solo et ce nouveau projet de duo électrique, Mehldau est au sommet de sa carrière musicale. Il faut avoir confiance en son talent (et en son public) pour s'engager dans une voix aussi risquée. On salue bien bas, on écoute sagement le maître et on fait tout notre possible pour le suivre, parce que le voyage importe, comme toujours, plus que la destination.


Hungry Ghost

Chroniqué à la Bande Son !

samedi 19 juillet 2014

L'Instant metal de juin 2014 : le temps de l'anectode

 
Avant de lire cet article, veuillez s'il vous plaît écoutez la vidéo ci-après. Merci de votre compréhension.


Le groupe qui vient de vous percez les tympans n'est autre que The Dillinger Escape Plan, groupe de mathcore (ou hardcore expérimental) que j'ai déjà évoqué à plusieurs reprises, que ce soit dans le blog ou à la Bande son. Au passage, l'extrait ci-dessus, Farewell, Mona Lisa, est extrait de l'excellent Option Paralysis sorti en 2010 (que je devrais peut-être re-chroniquer, tiens...).

Jaquette d'Option Paralysis
Mais alors, pourquoi ce morceau me direz-vous ? Alors, vous devez sûrement le savoir, et si vous ne le savez, c'est que vous me connaissez mal (M. De Groodt, si vous me lisez...), mais en plus d'être philosophe à mes heures perdues, je suis également musicien. Et s'il y a bien un point commun entre ces deux activités, c'est qu'on a tendance à se poser des questions existentielles. Ainsi, en tant que guitariste de metal, une question m'a taraudée pendant un temps : quel accordage vais-je utiliser ? Car, que ce soit pour des raisons techniques ou stylistiques, le guitariste de metal aime accorder son instrument plus bas, afin de donner à ses créations un côté plus lourd et plus casse-nuque. Le fin mot de l'histoire est que les guitares de la bande de malades que vous pouvez voir plus haut...n'ont pas été sous-accordées, même pas d'une petite note, même pas d'un demi-ton. Alors quand on voit que ce groupe arrive à envoyer, non pas du petit bois, mais des forêts entières en accordage standard, on ne peut dire que respect.

Ben Weinman : "Moi, je pèse aussi en standard, toi même tu sais !".
Depuis, le temps est passé et j'ai enfin trouvé de quoi faire niveau accordage (pour ceux qui me demandaient, Drop C et Drop G# : Periphery Style !). En attendant, il y en a qui ont du temps à perdre, comme ce monsieur dans cette vidéo :

mardi 15 juillet 2014

L'Instant metal de mai 2014 : commentaire litt...musical

Ex Machina est un one-man-band anglais formé en 2010 sur les cendres de Chrysaor, toujours aux commandes d'un unique membre : Kaneda Goda. En 2012, ce dernier met à disposition sur internet (précisément, ici) de façon gratuite et légale son premier album, Neurodancer. Mais en quoi ce premier jet est-il un excellent album de cyber metal ? Nous le verrons en relevant les traits typiques du style, puis en évoquant les impressions que nous laisse cet album.

Jaquette de Neurodancer
 Tout d'abord, Ex Machina livre ici un album typiquement cyber metal, en l'occurrence, un metal industriel froid et très axé science-fiction/cyberpunk (les cadors du style, pour votre culture personnelle). On y retrouve ainsi les ingrédients stylistiques les plus évidents : les riffs lourds à 6 ou 7 cordes, la batterie ultra mécanique, et les samples, programmation et autres joies synthétiques pour l'ambiance. De plus, étant donné que ce projet ne comporte qu'un seul membre, une bonne partie de l'instrumentation est donc produite par des machines, de quoi accentuer le côté robotique et SF de la galette. Mention spéciale aux excellents leads mélodiques de guitare qui apportent un plus non négligeable. A noter également que l'album est entièrement instrumental (oui, pour une fois, je vous épargne au niveau du chant...).

Kaneda Goda, le cerveau d'Ex Machina
Un point à soulever concernant l'album est sa simplicité. Puisant ses influences dans bon nombre de groupes de nu metal (style qui se veut plus populaire), ce premier opus est musicalement assez peu exigeant et pas très technique, ce qui n'est pas un défaut en soi et montre que les bonnes choses dans la vie sont les plus simples (j'essaie de regarder de moins en moins la télé, mais elle est fourbe...). En revanche, il est dommage que l'album soit aussi court. Cependant, cela reste une excellente galette qui mérite le coup d'oreille et qui en promet d'autres aussi géniales (pour avoir écouter l'opus suivant, Hadronize, je sais ce que je dis). On peut rapprocher cet album de la vidéo de Shintaisei, à l'atmosphère futuriste, collant parfaitement à l’œuvre.

P.S. : d'autres albums sont en téléchargement, donc profitez-en !

samedi 5 juillet 2014

Winston McAnuff et Fixi, roots et parigot

  •  Winston McAnuff et Fixi A New day

Je n'en finis plus de revoir mon jugement sur le reggae ! Croyant en avoir été définitivement vacciné à l'adolescence (période de tous les excès, notamment musicaux), me voilà encore prêt à réviser mon jugement sur la foi de l'excellente collaboration entre le chanteur jamaïquain Winston McAnuff et l'accordéoniste parigot Fixi. C'est le 2ème album pour ces 2-là après le Paris'Rockin de 2006. En 2013, ils remettent les couverts avec A New day, ambitieux patchwork de musique de tous les horizons.

Winston McAnuff, 57 ans, c'est l'essence du reggae, le vrai, le jamaïquain. Une voix riche, profonde, élevée au gospel et que la France découvre sur le tard, dans les années 2000, pour ne plus jamais la lâcher, faisant de Winston McAnuff un citoyen français de cœur. Fixi, c'est l'autre moitié de Java, le fameux et unique groupe de rap-musette (à découvrir au plus vite pour ceux qui ne connaissent pas encore), accordéoniste et arrangeur de talent, adepte de fusion et toujours prêt à mettre son accordéon de titi parisien au service d'improbables rencontres.

Pour leur 2ème projet, Fixi a appelé plusieurs pointures à la rescousse (M à la guitare, vous avez bien lu, Cyril Atef à la batterie, Lindigo pour les tambours aux accents maloya, excusez du peu !). Tous ces musiciens réunis offrent un écrin à la voix superbe de McAnuff qui ne se prive pas pour lâcher les chevaux. Le rastaman rugit et démontre avec force l'ampleur de sa voix. On n'a jamais été aussi sensible au vocabulaire mystique du reggae, à sa dimension sacrée, à l'émotion et à l'amour qu'il transmet. Fixi ne fait pas que servir le beau chant de McAnuff aux amateurs du genre, il explore de nouveaux sentiers en s'aventurant du côté du maloya (écoutez l'excellent One two three, rien à voir avec l'Algérie) et en inventant, tout au long du disque, une sorte d'afro-pop de banlieue parisienne. Il faut aussi saluer la "facilité" du reggaeman qui évolue dans cet univers hybride comme un poisson dans l'eau, aussi naturellement que s'il y avait chanté toute sa vie. Du coup, tout ressort mieux, l'accordéon, la voix et le plaisir partagé dans la rencontre.

Les plus chanceux d'entre vous les ont vu aux dernières Invites de Villeurbanne, nous on est dégoûté de les avoir raté mais bon, ça valait le coup !

Longue vie à cette idylle !


Garden of love


One two three

Chroniqué à la Bande Son !

mercredi 2 juillet 2014

Yeahwon Shin, la délicate

  • Yeahwon Shin Lua ya

Si la délicatesse était un album de musique, ce serait celui-là.

Lua ya est le 2ème album de Yeahwon Shin, chanteuse de jazz américano-coréenne. Récompensée en 2011 par un latin grammy award, on a peine à y croire en entendant son nouveau projet sorti en 2013 chez ECM. Simplement mais brillamment accompagnée du pianiste Aaron Parks et de l'accordéoniste Rob Curto, elle propose 13 titres, chansons et berceuses susurrées en coréen dans un album jazzy à la beauté vaporeuse.

Si léger qu'il flirte souvent avec le silence, Lua ya est une ballade dans l'enfance de la chanteuse, il en a la douceur et cette pointe de nostalgie de l'adulte qui cherche à faire revivre ses jeunes années. Les 2 musiciens qui épaulent la voix sublime de Yeahwon Shin jouent avec beaucoup de finesse tout au long du disque. Ils complètent avec brio le peu d'espace que laisse le chant et parviennent à étirer l'émotion des berceuses sur de longues minutes. Quand l'atmosphère se fait plus "sombre", comme sur le sublime The Moonwatcher and the child, on retrouve l'étrangeté et le mystère des contes pour enfants. Lua ya ne s'y inscrit pas mais il doit beaucoup à l'univers de l'enfance.

L'album a été enregistré en mai 2012 dans la salle de concert Mechanics Hall à Worcester dans le Massachusetts après une première rencontre lors de l'enregistrement d'un album solo du pianiste. Le courant passe tout de suite entre les 3 artistes qui improvisent longtemps ensemble le premier jour de leur rencontre avant de décider de se retrouver plusieurs mois plus tard pour l'enregistrement du présent album. Une belle rencontre et la confirmation d'une voix sublime.

Moving clouds

Chroniqué à la Bande Son !